JÉRÔME DUBOIS INTERVIEW

JÉRÔME DUBOIS INTERVIEW

DE CITÉVILLE À CITÉRUINE… OU L’INVERSE

Suite à sa venue et son exposition dans le cadre du Festival Image de Ville, Jérôme Dubois répond à nos questions. Depuis 2014, l’auteur développe avec Citéville et Citéruine, un univers graphique, entre bande dessinée et architecture, autour de l’absurdité des rapports humains dans l’espace urbain. Une bonne occasion d’en apprendre un peu plus sur la construction en miroir de ses deux albums, parus chez Cornélius et Matière, et qui ont, tous deux, marqués durablement la sélection du 48e Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême.

Avec Citéville, tu imagines une ville que tu déconstruis dans Citéruine, peux-tu nous expliquer d’où te vient cette idée ?

Depuis longtemps, j’avais l’idée de faire une ville imaginaire. Lorsque les éditions Cornélius m’ont proposé de publier dans la revue Nicole, j’ai voulu faire un récit en miroir avec, sur chaque page, une ville habitée et son pendant en ruine. J’ai fait un story-board, mais ce n’était pas très convaincant. J’ai donc fait le choix de d’abord me concentrer sur le développement de la ville.

Le projet Citéruine est donc apparu plus tardivement ?

Les deux projets ont plutôt été menés en parallèle. Au départ, je publiais chaque histoire de Citéville, sans être sûr que cela puisse constituer un album. À l’époque, je ne faisais qu’une histoire par an. Mais à chaque fois, je dessinais son équivalent en ruine que je gardais pour moi. L’idée de faire deux livres est venue au bout de 4 ou 5 numéros de Nicole. J’ai alors commencé à publier Citéruine sous forme d’un fanzine.

Aujourd’hui Citéville et Citéruine sont publiés par deux éditeurs, comment as-tu procédé ?

Je ne connaissais pas les éditions Matière. Je suis donc allé les voir en premier. Une fois qu’ils ont accepté Citéruine, j’ai évoqué la question de Citéville avec Cornélius. À partir de là, le rythme de travail est devenu plus soutenu. Au final, je suis très content d’avoir deux éditeurs. J’aime beaucoup l’idée que l’on puisse lire l’un des deux livres sans connaître l’existence du second.

Comment as-tu choisi les lieux emblématiques de Citéville et Citéruine ?

Le supermarché est, en partie, autobiographique, puisque j’ai travaillé en grande surface. Pour le reste, il s’agit d’une ville fictive. Je l’ai structurée en réfléchissant à ce qui fait l’identité d’une ville, lorsque l’on est enfant. J’ai, ensuite, essayé de détourner la signification des lieux, en faisant des jeux de mots, comme pour la Maison de Retraite qui devient la Maison de Retrait ou Pôle Emploi qui devient Pôle Enfant.

Et graphiquement, comment choisis-tu leur forme ?

Je m’inspire beaucoup des lieux autour de chez moi, comme les souterrains de la Défense par exemple. L’idée est d’avoir une architecture un peu brutale et difficile à situer. On retrouve donc aussi des bâtiments d’ex-URSS ou le stade de Londres.

Citéville Citéruine Jérôme Dubois
Comparaison entre « Citéville » (ed. Cornélius) et « Citéruine » (ed. Matière)

Tu as fait le choix du noir et blanc, pourquoi ?

Il y a un côté tranché qui fonctionne bien avec le récit. Il y a également une forme de simplicité forcée qui m’arrange car le choix des couleurs est toujours difficile. En tant que jeune auteur, le noir et blanc permet aussi de réduire les coûts.

Pour Citéruine, tu as tout redessiné d’après Citéville ?

Je suis passé par une table lumineuse pour avoir les proportions et respecter le travail de composition. Ensuite, j’ai tout redessiné. Chaque image a donc son double en ruine. J’avais besoin que ces deux projets aient la même importance. J’ai d’ailleurs pris beaucoup de plaisir à tout redessiner. C’était très méditatif.

Le passage de Citéville à Citéruine suscite beaucoup d’interrogations, quelle est ton explication ?

Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Certains font le parallèle avec Tchernobyl, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Ici, il n’y a pas de mobilier. Nous sommes dans un départ préparé et non subi. Un des exemples qui marcherait le mieux, c’est l’île de Ha-shima au Japon. C’est une île qui s’est développée sur la découverte d’un gisement houiller et qui a périclité sitôt l’activité minière essoufflée.

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Beaucoup voient dans ton travail une satire de nos sociétés, qu’en penses-tu ?

Je pense que c’est la quantité qui provoque ce sentiment. Mais il faut dire que la réalité dépasse parfois la fiction. Lorsque je détourne Pôle Emploi en Pôle Enfant, j’imagine un lieu où l’on vient chercher un enfant plutôt qu’un travail et le cas échéant le rendre, si le « modèle » ne convient pas. J’imagine aussi un marché professionnel dans lequel les enfants tentent de séduire leurs futurs parents. Or, j’ai appris, il y a peu, qu’aux États-Unis, il est possible de rendre un enfant adopté, ce qui encouragent naturellement les enfants à mettre en avant leurs qualités pour maximiser leurs chances d’être adopté.

Peux-tu nous parler de tes autres projets ?

Je viens de terminer Un matin aux éditions La Partie. C’est un livre jeunesse à choix multiples qui est aussi axée sur la ville. Il est illustré par Laurie Agusti. En parallèle, je travaille sur un projet autour de la figure japonaise du hikikomori, c’est-à-dire les personnes qui décident, plus ou moins volontairement, de ne plus sortir de chez elle. Le livre devrait paraître à la rentrée prochaine chez Cornélius.

POUR ALLER PLUS LOIN

Jérôme Dubois est dans Cactus #6, le podcast d’entretiens avec des auteur·rice·s et dessinateur·rice·s, imaginé par Simon Roussin.

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