LE MYSTÈRE CEZANNE EN QUESTIONS
À l’occasion de l’année Cezanne 2025 et de L’expo des expos Cezanne au Pavillon de Vendôme en 1956 et 1961, l’autrice Camille Lavaud Benito mène l’enquête sur l’incroyable vol de 8 tableaux du maitre aixois en août 1961. L’équipe BD-AIX en profite pour poser quelques questions à l’autrice – Prix révélation à Angoulême – sur sa manière de travailler ce projet, Le Mystère Cezanne, qui prend la forme d’un récit BD inédit en 24 planches, édité en version journal, mais aussi d’une exposition grand format, dans le jardin du Pavillon de Vendôme. À découvrir gratuitement, sur place, du 19 juin au 28 septembre 2025. Pour en savoir plus, rendez-vous juste ici.

UN RÉCIT ENTRE FICTION & RÉALITÉ
BD-AIX : Dans vos travaux, vous avez l’habitude de mélanger fiction et réalité. Comment avez-vous procédé pour Le Mystère Cezanne ?
CAMILLE LAVAUD BENITO : De la même manière. Ce qui m’importe, c’est de raconter le vrai, en me basant au maximum sur les faits dits réels pour être au plus proche d’une situation plausible pour le lecteur. Mais il ne faut jamais perdre de vue que la fiction est partout. Un article de presse est, par exemple, empreint d’une certaine fictionnalité, car le journaliste y décrit les faits de son point de vue et avec un ensemble d’informations disparates.
BD-AIX : Quelles ont alors été vos sources d’inspiration pour raconter ce vol, en 1961, au Pavillon de Vendôme ?
CLB : J’ai eu accès à de nombreux documents qui proviennent des archives de la Ville d’Aix-en-Provence. On y trouve des coupures de presse, des échanges par télégramme avec les prêteurs étrangers et des lettres des assureurs. J’ai aussi consulté les archives à Marseille et celle de la Police à Paris. Or, la surprise a été de taille car il n’existe aucune archive marseillaise et à peine quelques pièces déjà connues dans les archives policières parisiennes (listings des œuvres volées…). Cela reste, encore à ce jour, très troublant.

BD-AIX : C’est donc là que la fiction entre en jeu pour nourrir le processus créatif ?
CLB : Oui. J’ai par exemple regardé de nombreux films sortis l’année même du vol. Cela donne des indices précieux sur les tenues, les décors de l’époque… Un film m’a été très utile pour nourrir les scènes liées aux voyous : Un nommé La Rocca (1961) de Jean Becker, avec Jean-Paul Belmondo. Le tournage du film a eu lieu entre Marseille et Aix-en-Provence. Une scène se déroule même dans les jardins du Pavillon de Vendôme. Du pain bénit !
BD-AIX : Le Mystère Cezanne, débute par un prologue, qui mêle la légende du Pavillon de Vendôme et une déambulation de Cezanne. Pourquoi ce choix ?
CLB : Je fonctionne par séquences. Pour ce récit, il fallait à la fois combiner l’historicité du lieu qui en fait un personnage à part entière, le vol et le sujet pictural, c’est-à-dire la démarche artistique de Cezanne, qui faisait déjà, à l’époque, sa renommée internationale. D’où cette séquence d’ouverture inspirée à la fois de films de cape et d’épée comme Le Bossu (1959) ou Angélique marquise des anges (1964), mais aussi de livres comme Propos sur la peinture de Cezanne… Et puis, je n’avais encore jamais illustré le XVIIe siècle. C’était l’occasion d’explorer de nouveaux territoires graphiques avant d’attaquer le récit du vol.

UN PLONGÉE INÉDITE DANS LES ARCHIVES
BD-AIX : Grâce à une jolie ellipse, le lecteur fait ensuite connaissance avec le gang des voleurs de tableaux qui, dès 1960, œuvre dans la région. Pourtant, la connexion entre ce gang et le vol aixois n’a, à ce jour, jamais été clairement établie ?
CLB : Pour moi, il y a eu de suite un lien évident entre les vols en série d’œuvres majeures qui perduraient, depuis une année, sur la Côte d’Azur. Il me semblait donc important d’aborder ces vols, d’autant qu’à l’époque, la presse s’en faisait aussi l’écho. À ce titre, les archives du journal Le Monde, qui a couvert les vols précédents, ont été une mine d’informations à recouper. Et puis, dans son mode opératoire, le vol du restaurant La Colombe d’Or à Saint-Paul de Vence, le 1er avril 1960, présente de nombreuses similitudes avec celui du Pavillon de Vendôme en 1961.
BD-AIX : Est-ce pour cela que vous avez choisi de vous attarder plus longuement sur le vol de La Colombe d’Or ?
CLB : Il était nécessaire de raconter la préhistoire du vol au Pavillon de Vendôme. J’ai découvert un livre épuisé, sorti en 1981, intitulé Les voleurs au musée de l’auteur écossais Hugh McLeave, dont un chapitre est consacré au vol de La Colombe d’Or et à celui du Pavillon de Vendôme. La description du casse à Saint-Paul de Vence est assez nette et fournie. L’auteur aurait d’ailleurs été en lien avec un commissaire marseillais. Or, suite à ce vol, il y a eu des règlements de compte et toute la bande s’est fait arrêter. C’était donc une piste pour affirmer que pour le Pavillon de Vendôme, il s’agissait forcément d’une équipe renouvelée, même si… les commanditaires étaient sans doute les mêmes.

BD-AIX : Vous citez de nombreux malfrats, mais aussi le nom de l’inspecteur qui est sur leurs traces. Est-ce que tous ces personnages ont vraiment existé ?
CLB : C’est un mélange des deux. Il est prouvé que Gaby Rouzé et Michel Paoli faisaient partie de l’équipe du vol de La Colombe d’Or. Antoine Sarocchi est le vrai nom de l’inspecteur marseillais qui a suivi l’affaire. Par contre, pour les noms des commanditaires, je me suis aussi inspiré de films comme Mr. Arkadin d’Orson Welles, sorti en 1955. Si leurs noms sont nés de mon imagination, j’ai tout de même réussi à retrouver les vraies planques utilisées par le gang au Cap d’Antibes…
BD-AIX : Sans dévoiler l’épilogue – véridique – d’avril 1962, reste-t-il, selon vous, des zones d’ombre à explorer dans cette histoire de vol ?
CLB : Cette affaire classée sans suite relève toujours pour moi du mystère. Il y a encore des pièces manquantes au puzzle. Au-delà, de certains faits invraisemblables, je me demande surtout où sont passées les archives policières liées à cette affaire ? Ont-elles été pilonnées ? Le à suivre à la fin de l’histoire se justifie par la possibilité de poursuivre le récit. Je suis très attachée à la notion de sériel en BD. Je pourrais tout à fait me servir de ce récit de 24 pages comme l’amorce d’une suite…

CAMILLE LAVAUD BENITO : MINI BIO
Dans ses albums, Camille Lavaud Benito aime jouer avec les codes de la bande dessinée populaire et du film noir. Sa technique est toujours la même : fouiller encore et encore les archives ! Si l’artiste s’inspire toujours de documents authentiques, elle n’hésite pas à brouiller les pistes en comblant les vides d’éléments factices. Une méthode qui a fait ses preuves. Son premier album, La Vie Souterraine aux éditions Les Requins Marteaux, remporte le Prix révélation au Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême. Depuis, Camille travaille sur le second opus. Aux côtés d’Enki Bilal, François Schuiten et Geneviève Gauckler, Camille fait aussi partie des 30 artistes choisis pour illustrer les gares du Grand Paris Express.