MARCO TOXICO EN DIRECT DE LA PAZ | Entretien

MARCO TOXICO EN DIRECT DE LA PAZ | Entretien

DISEÑO GRAFICO

Illustrateur bolivien, Marco Toxico réalise cette année pour les Rencontres du 9e Art un dessin grand format qui s’affiche dans les quartiers de la ville. Découvrez ici une interview avec l’artiste réalisée en direct de la Paz par Raphaël Barban, organisateur du Festival Formula Bula (Paris).

PETITE DISCUSSION AVEC MARCO TOXICO

Marco, tu te définirais plutôt comme illustrateur ou auteur de bd ?
Je me sens complètement illustrateur ! C’est mon métier, c’est ce que je fais depuis des années. Cela ne veut pas dire que je ne peux pas faire de la bande dessinée, mais mon univers c’est réellement l’illustration ! C’est là où je me sens le plus à mon aise, où je me déplace avec le plus de facilité.

Quelles sont tes influences artistiques ?
Elles ont évolué au fil des ans, pour autant les auteurs de toutes sortes qui expriment le sordide, la cruauté et le non-sens demeurent l’axe central de mes influences. Je pense que ce sont des centres d’intérêts chevillés à ma vie depuis toujours. Évidemment, ce que je considérais comme sordide à 19 ans n’a pas le même effet sur moi aujourd’hui à 39 ans !

Les auteurs que j’aime et qui me nourrissent, toute disciplines confondues sont Charles Burns, Suehiro Maruo, Stéphane Blanquet, Miguel Angel Martin, David Foster Wallace, Michel Houllebecq, Erskine Caldwell, Fernando Vallejo, Alejandro Jodorowsky (en tant que réalisateur), Gaspar Noe, Carlos Reygadas, Jose Guadalupe Posada, Otto Dix, Louis Wain, Daniel Johnston, Albert Pla, Arturo Meza.

Quelle est ton expérience professionnelle ? Es-tu très concentré sur le monde du fanzine et de l’autoédition ?
Je travaille comme illustrateur depuis 2004. J’ai fait toutes sortes de boulots, surtout beaucoup d’illustration pour enfants au début. Depuis quelques années, j’arrive à bosser à temps plein sur uniquement des choses que j’aime.
En dehors de ça, je fais des fanzines de bande dessinée et d’illustrations depuis plus ou moins la même époque. La Bolivie est un petit pays (pas en taille mais en population et en revenus), il n’y a donc pas d’industrie de l’édition en tant que telle. Il existe des petits projets d’éditions avec de très faibles tirages mais pratiquement aucun revenu pour les auteurs (auteurs de ce qui est considéré comme « sérieux », comme la littérature ou la poésie). La bande dessinée en Bolivie est un environnement beaucoup plus confidentiel. Alors les auteurs, amateurs ou professionnels, optent presque exclusivement pour l’autoédition afin de diffuser leur travail.

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Comment se porte la bande dessinée en Bolivie ?
Je pense qu’elle a beaucoup évolué ces dernières années. Il y a environ 20 ans, il n’y avait pour ainsi dire pas d’auteurs dans le pays, par contre il y a aujourd’hui beaucoup de gens qui publient leurs travaux sur les réseaux sociaux (très peu finissent par adopter le fanzine comme médium). Je pense qu’il y a un changement de génération et que c’est très bien ainsi.
Personnellement, je ne suis pas très attiré par ce qui est publié actuellement dans mon pays car cela vise un public plus large, ce sont bien souvent des petites blagues locales, des réflexions collectives ou encore des histoires trop aliénées par le manga Shojo. Attention, cela ne veut pas dire que c’est mauvais, ce n’est tout simplement pas le type de créations que j’apprécie. Je pense que si je devais recommander quelqu’un, ce serait Cece Delgado, une autrice qui a un univers personnel particulier et qui réalise des histoires émouvantes et surtout très sincères.

J’ai le sentiment que ton travail se concentre sur une forme de détournement des croyances populaires ou des éléments traditionnels boliviens que tu tords vers un univers plus étrange.
Hahaha, oui, un peu. Je pense que c’est une forme très courante de mixage chez les auteurs de ma génération. Nous sommes frappés par tout ce monde « moderne » qui nous arrive en pleine tronche avec Internet et les réseaux sociaux, mais en même temps nous avons grandi dans un pays beaucoup plus traditionnel et conservateur. Je crois qu’on retrouve ce mélange dans des pays similaires à la Bolivie comme le Mexique, la Colombie ou le Pérou.

Ta palette de couleurs a beaucoup à voir avec les couleurs boliviennes…
Cette réflexion sur la couleur c’est quelque chose que je n’ai réalisé que récemment. J’ai toujours eu l’idée innocente que ma palette de couleurs (et la façon de les combiner) venait plus d’une recherche personnelle, jusqu’à ce que quelqu’un me dise qu’il était impossible de voir mon travail et de ne pas le relier aux couleurs que l’on voit partout à La Paz (ma ville) et en Bolivie en général. C’est là que j’ai donc réalisé que bien sûr, toutes les couleurs que j’utilise étaient présentes depuis toujours, partout. Je n’en n’étais tout simplement pas conscient à 100 %, je m’en sens un peu honteux…

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Tu voyages beaucoup en Amérique du Sud, est-ce que chacun de tes voyages t’offre de nouvelles sources d’inspiration ?
Oui tout à fait. C’est à chaque fois une nouvelle rencontre avec un auteur qui va m’enrichir. Ainsi, il y a de nombreuses années, j’ai pu rencontrer Muriel Bellini en Argentine et depuis, je suis amoureux de ce qu’elle fait, la même chose m’est arrivée avec Claudio Romo au Chili ou Tania Brun au Pérou. Ce sont peut-être des auteurs qui sont déjà sur le web et dont les créations auraient très bien pu m’atteindre sans jamais les rencontrer. Mais découvrir les auteurs et leur travail grâce aux voyages est une expérience différente que j’apprécie beaucoup.

As-tu une formation de graveur ?
Ahhh, non, mais j’aimerais tellement. Je me suis inscrit deux fois à l’université et les deux fois, j’ai abandonné mes études. J’ai étudié la gravure pendant quatre ans à l’université publique, mais je ne me considère pas du tout comme un graveur. Il y a beaucoup de savoir-faire artisanal et technique dans la gravure et je n’ai malheureusement rien acquis de tout cela. Mais c’est certain que la gravure et la bd underground en noir et blanc ont grandement influencé ma façon de dessiner.

On ressent une forme de poésie dans tes créations…
Ça me touche beaucoup que tu dises ça ! J’aimerais que ce soit le cas mais je ne crois pas y arriver souvent !

Dans ton travail d’illustration, si ce n’est pas narratif, il semble toujours qu’il y a une histoire derrière ?
Chaque image raconte une histoire, même si elle est extrêmement instantanée. Certains travaux présentent une image qui raconte beaucoup, qui te fait penser à un moment avant ou après l’image que tu vois, qui te chamboule un peu la tête. Je pense que c’est presque toujours l’objectif d’une illustration, bien que bien sûr, parfois l’illustration soutien simplement un texte ou une idée de façon très technique.
Personnellement, j’aime quand les illustrations suggèrent quelque chose. On peut rester ainsi des heures à regarder un dessin d’Alex Gray, Nicole Claveloux ou Roberto Innocenti.

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Peux-tu nous parler de l’affiche que tu as réalisée pour Aix ?
L’équipe m’a demandé une illustration qui fait référence au monde de la bande dessinée. Immédiatement, l’idée m’est venue de faire un mélange un peu hallucinant, pour essayer de fixer les gens à rester un moment à regarder l’image, et jouer à reconnaître certains des personnages.

Mon idée de base est un couple avec leur fils. Le premier personnage, a un visage inspiré de l’univers du manga, il porte un costume de Dick Tracy, la coiffure de Nancy et l’épée de Guts, le personnage principal du manga Berserk. À côté de lui, se trouve Batman, avec des seins généreux qui sont en fait le visage de Samuel (personnage du dessinateur Finlandais Tommi Musturi). Enfin, on trouve le garçon avec la tête du capitaine Haddock et les oreilles et la queue de Snoopy, vêtu des vêtements de Jimmy Corrigan (Chris Ware), tenant une glace avec deux boules, une avec le visage d’Obélix et l’autre avec le visage de Megg (personnage de Simon Hanselmann).

J’ai essayé de faire un mélange de plusieurs personnages emblématiques, facilement reconnaissables qui appartiennent également à différents mondes de la bande dessinée, du passé, du présent, des super-héros, de l’humour et de la bd la plus expérimentale. J’espère que le résultat retiendra l’attention du public.

Entretien réalisé par Raphael Barban, organisateur du Festival Formula Bula (Paris).